CÔTE D’IVOIRE, N’Douci, Par TOURÉ Vakaba (Envoyé spécial à BÔDÔ)
À un an des futures élections présidentielles prévues pour octobre prochain, cette histoire restera manifestement une des affaires criminelles des plus scandaleuses dans les archives ivoiriennes de la gouvernance politique et sécuritaire. Il s’agit ici d’un fait divers absolument hallucinant, passé inaperçu et qui met en mal la nécessaire question de l’unité, du vivre ensemble et de la cohésion sociale.
Les faits datent du mercredi 06 novembre 2019. Des premières informations, il revient qu’un individu a sollicité les services d’un motocycliste, au fin de l’accompagner au km 104, en vue de transporter des marchandises à emmener sur le fructueux marché artisanal de Bôdô. L’intéressé qui croit avoir décroché le jackpot du jour, n’y voit guère d’inconvénient.
L’affaire conclue, le jeune homme, à bord de sa nouvelle moto, achetée à peine, va ravaler la longue distance qui sépare Bôdô au lieu indiqué en très peu de temps. À son arrivée sur place, il se retrouve nez à nez avec trois individus, dont une femme, qui lui intiment l’ordre de leur remettre son engin à deux roues. Un curieux accueil auquel le motocycliste oppose une fin de non recevoir.
S’en suit alors un pugilat singulier autour de l’objet convoité. Le motocycliste, le nommé Geoffroy, ne survivra pas à ses blessures reçues, suite aux violents coups que lui auront administré ses ravisseurs, numériquement supérieurs.
Leur forfait achevé, les criminels vont se fondre dans la nature, à bord de la moto volée, et après avoir dissimulé dans la broussaille, le corps sans vie de l’infortuné.
Comme une traînée de poudre, la nouvelle parvient à Bôdô et parcours discrètement les foyers. Relativement remontés, les collègues au jeune défunt se souviennent trait pour trait, du visage et la corpulence de cet homme venu solliciter ses services, en vue de cette expédition sans retour.
Bien malheureusement, il était trop tard, car les malfrats, pour insuffisance de carburant, avaient finalement abandonné le butin encombrant et fortement compromettant, en l’occasion de leur débandade.
La mort du jeune homme, originaire de Bôdô est tristement confirmée. Au fond, un important suspect répondant en l’appellation burkinabè de Bazongo Moumini, natif de Bôdô mais depuis longtemps établit à Sikensi. « C’est ce dernier qui a attiré la victime dans cet abominable piège », expliquent des temoins.
Très vite, un frère au défunt, craignant des représailles contre les parents du prétendu cerveau de ce crime crapuleux, emmène avec lui chez le chef du village, le géniteur à ce dernier, histoire de mettre celui-ci en l’abri.
Lorsqu’ils ont appris cela, un groupe de jeunes, spontanément organisé, se déporte aussitôt chez ce chef de village pour disent-ils exiger la tête du père à Bazongo Moumini. Ils y resteront à vociférer jusque tard vers mi-nuit, avant de se retirer bredouilles.
Au petit matin du jeudi 07 novembre 2019, alors que le village se réveille de cette nuit mouvementée, de nombreuses familles d’origines burkinabè se voient cette fois surprises par une cohorte d’individus, armés de carburant et d’objets cantondants, et qui se sont mis à les soustraire de chambres pour ensuite incendier leurs logis, au moyen d’un saccage digne d’un film rodéo.
Joints par des anonymes, des fonctionnaires issus de la brigade de Gendarmerie de N’Douci, s’y transportent, casqués, bottés, armes aux poings. Ces soldats arrivent au moment même où tout semble dessus dessous. Ce petit contingent n’est qu’un menu fretin aux yeux des manifestants, visiblement surexcités, qui réussiront à immobiliser le véhicule de patrouilles qui les a convoyé de N’Douci à Bôdô, en dégonflant les roues.
Appelée en renfort, une unité d’intervention relevant de la police d’élite du pays et larguée depuis Abidjan, s’invite dans ce chaudron de Bôdô, appuyée d’une forte délégation conduite par le préfet de département de Tiassalé.
Au demeurant, la présence musclée des hommes en armes n’a pu refroidir la farouche détermination des manifestants, à atteindre vaille que vaille leur objectif.
Le bilan est dégoûtant et implacable! À l’instar de plusieurs concessions et commerces, ceux appartenant au chef de la communauté burkinabè, à savoir le nommé Ouédraogo Téga dit « Lamine », ont été littéralement mis à sac et carbonisés. Ses bêtes égorgées sous ses yeux, son grenier éventré et ses denrées emportées, sans oublier la perte de numéraires que le vieil homme évalue à plus d’un million cent vingt cinq milles [1.125.000 FCFA].
Ce fut le cas pour l’imam Sawadogo Mamoudou qui verra également ses biens entièrement détruits et de l’argent espèce emporté. De nombreux autres allochtones, dont surtout les sénoufos, lobis, malinkés et tagouana, que les agresseurs ont injustement confondu en des personnes d’origines burkinabè ont aussi vue leurs biens détruits dont certains emportés hors de Bôdô.
Face au désespoir des victimes et à l’impuissance des autorités administratives et municipales à résoudre le problème à fond et à les reloger, c’est du moins un calme précaire qui règne sur Bôdô et ses habitants. Les victimes, contraints à quitter le village se comptent par dizaines et errent dans la nature, à la belle étoile…à leurs côtés, des enfants déscolarisés de force.
Un réquisitoire globalement triste qui appelle à l’arbitrage de la République et à l’intervention fraternelle du ministère en charge de la solidarité, sans oublier la Première dame, Dominique Ouattara. C’est du moins le souhait des victimes. Justice doit être rendue. Des témoins trouvés sur place expliquent qu’un crime du genre, sur la personne d’un jeune burkinabé à Kanga Gnèzè, une localité mitoyenne, avait été enregistré bien avant ces événements, qui serait resté sans suite judiciaire. Des cadres issus de la cité auraient en son temps, usé de toute leur influence pour étouffer cette autre affaire criminelle. Quand à Geoffroy, des sources concordantes annoncent sont inhumation pour 16 novembre. Des habitants, encore tremblant de peur, s’inquiètent de la possible survenue de nouvelles violences à cette occasion.
Logé dans la nouvelle commune de N’Douci, à seulement une centaine de kilomètres d’Abidjan, Bôdô est un village bien connu pour sa tranquillité et son caractère commercial, dû notamment à sa trop grande proximité avec la très célèbre voie express qui relie le nord et le sud du pays et fièrement baptisée « autoroute du nord » par l’administration d’Abidjan.
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