Les anciens ministres Michèle Alliot-Marie, Dominique de Villepin et Michel Barnier ne feront pas l’objet de poursuites judiciaires pour des accusations d’inaction après le bombardement du camp militaire français de Bouaké, en Côte d’Ivoire, en 2004. La commission des requêtes de la Cour de justice de la République (CJR), seule habilitée à juger les actes des ministres dans l’exercice de leurs fonctions, a décidé le 17 mai qu’il n’y avait pas lieu de saisir la commission d’instruction de la Cour, révèle Europe 1.

Les faits remontent au 6 novembre 2004. Ce jour-là, neuf militaires français sont tués dans le bombardement du lycée Descartes de Bouaké, où est basé un détachement de la Force Licorne. À l’époque, des suspects, présentés comme des mercenaires au service du président Gbagbo, sont arrêtés. Parmi eux se trouvent les pilotes des deux Soukhoi SU-25 qui ont largué des roquettes mais les suspects sont finalement rapidement relâchés.
Une fuite orchestrée par les trois ministres, selon la juge d’instruction au tribunal de grande instance de Paris, chargée de faire la lumière sur le drame. N’étant pas compétente pour enquêter, c’est elle qui s’est battue pour que la Cour de justice de la République se penche sur leur cas. Selon cette commission, aucun des trois ministres ne peut être soupçonné ni de « recel de malfaiteurs », ni de non-dénonciation de crime, et pas davantage d’entrave à l’enquête.

Aprés la neutralisation des deux avions de chasse Sukhoï, Gbagbo previent : « si l’armée française les détruit à nouveau, on en achètera une nouvelle fois>>.
Pour justifier l’action politico-militaire de la France en Côte d’Ivoire, l’ancien président Jacques Chirac avait invoqué une possible dérive «fasciste» du régime Gbagbo. «C’est une insulte», avait retorqué le chef de l’Etat ivoirien, dans les colonnes du quotidien français Libération. Laurent Gbagbo avait renvoyé à son homologue français le grief d’avoir «soutenu le parti unique en Côte d’ivoire pendant quarante ans», le système le «plus proche du fascisme». Paris brandit alors la menace de sanctions onusiennes et Abidjan consacre son état-major de guerre. Chirac et Gbagbo personnalisent un conflit qui a déjà débordé les hautes sphères politiques.

Jacques Chirac ne fait pas «une guerre coloniale» à la Côte d’Ivoire mais il ne veut pas «laisser se développer un système pouvant conduire à l’anarchie ou à un régime de nature fasciste». Pour étayer ses accusations, Jacques Chirac évoquait «une chasse aux Blancs et aux étrangers». Pour le vulgum pecus, cela signifie que la France va continuer d’intervenir en terre africaine. Et cela, contre un régime inamical et dangereux, celui de Gbagbo. Quant au mandat d’intervention, la diplomatie française reste floue sur le contenu de l’accord de défense franco-ivoirien. Elle a préfèré mettre en avant le rôle de force d’intervention rapide joué par les troupes françaises de l’opération Licorne à la demande de la Mission des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci). L’articulation entre les deux reste obscure au néophyte. Pour le reste, nul ne pouvait douter de la capacité française à obtenir du Conseil de sécurité les résolutions et le mandat nécessaires.

«La France a pris le parti des rebelles» en anéantissant «tout ce qui faisait notre supériorité absolue», accuse Laurent Gbagbo. Pour sa part, il attribue à l’ancien système de parti unique l’origine des «derniers déchirements» d’une «transition démocratique» jadis interdite par la monopolisation de l’action politique. «C’est nous qui étions en prison sous le régime de parti unique soutenu pas la France» reprend Laurent Gbagbo. En ce temps là, au début des années quatre-vingt-dix, Jacques Chirac prophétisait en substance que «le pluralisme politique, c’est le chaos ethnique assuré. Mais selon Laurent Gbagbo, si les Français, en raison de leur engagement politique et militaire ont été eux aussi touchés par les «convulsions» de l’accouchement ivoirien, celles-ci «auraient de toute façon eu lieu sans eux».

«Au lieu de désarmer [les rebelles], c’est moi qu’on juge», avait déploré le président ivoirien. Il dénonçait une «injustice intolérable». Mais, il ne désarme pas, comme en a témoigné des jour après, de la promotion du lieutenant-colonel Philippe Mangou, élevé au grade de colonel-major et au rang de chef d’état-major des armée, à la place du général Mathias Doué. Ce dernier, avait immédiatement été appelé à d’autres fonctions, une mesure «purement administrative», selon Laurent Gbagbo. «Les rebelles nous ont surpris dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002», avait-t-il expliqué à Libération, «j’ai trouvé une armée gouvernementale non armée, je l’ai équipée».

Reste qu’avant même son arrivée au pouvoir, l’armée ivoirienne s’était révélée factieuse et pas spontanément républicaine comme l’avait montré les épisodes successifs du renversement de l’ancien président Bédié et de la «rébellion», pour ne citer que ceux-là. Mais en septembre 2002, c’est justement le Saint-Cyrien Mangou qui avait en charge le commandement du «théâtre des opérations» de guerre. Depuis, il était resté basé à Yamoussoukro, sur les positions gouvernementales de l’ancienne ligne de front.
Le chef d’état major français des armées d’alors, le général Henri Bentégeat avait estimé que si le bombardement du cantonnement français de Bouaké était bien un acte délibéré, il a été décidé à un «niveau intermédiaire». En clair, ce n’est pas Laurent Gbagbo qui en aurait donné l’ordre et certains observateurs estiment que les changements décidés dans l’état-major ivoirien correspondent à des sanctions frappant les auteurs du «coup-fourré de Bouaké» (selon le mot de Gbagbo), le chef de l’aviation militaire ivoirienne ayant été limogé. Les «durs», ou du moins les «faucons anti-français» auraient ainsi été écartés. D’autres présentaient au contraire la nomination du colonel comme un durcissement.
Le nouveau chef d’état major des armées ivoiriennes, le colonel Philippe Mangou se caractérisait surtout par son statut de «chef de guerre» depuis 2002.

Il était en tout cas aux premières loges opérationnelles pour constater le désastre du 6 novembre. Lui-même se tenait prêt pour une offensive terrestre «décisive». Laurent Gbagbo le considère comme «l’homme de la situation, accepté par l’ensemble de l’armée». Le Colonel Mangou pouvait même espérer commander les avions de chasse que Laurent Gbagbo compte bien se procurer en dépit de l’embargo militaire qui s’annonçait. «Si l’armée française les détruit à nouveau, on en achètera une nouvelle fois».

Dans les médias de masse des deux pays, ce duel au sommet entre les présidents Gbagbo et Chirac se conjugue avec la diffusion en boucle, côté ivoirien, des images de victimes des manifestations anti-françaises – officiellement 62 morts et 1 200 blessés – et, côté français, avec la détresse des rapatriés de Côte d’Ivoire, déjà plus estimés à plus de 5 000. Pour autant, la diplomatie française avait précisé que «il ne s’agit pas d’une évacuation, ce terme est impropre. Nous n’avons pas donné de consigne de départ». De son côté, tout en se mettant ouvertement en ordre de bataille, le président ivoirien qui n’avait toujours pas demandé le départ des troupes françaises.
Quand Chirac dénonce «une minorité agissante autour d’un régime contestable», Gbagbo rétorque que «les Français ne se sont pas rendus compte qu’ils faisaient de moi un martyr». Un dialogue de sourds sélectivement repris en France et en Côte d’Ivoire, bien au-delà des sphères d’influence respective des deux chefs d’Etat.

De ces échanges acides paraissaient émerger une volonté française de ramener Gbagbo à la table des négociations et une détermination ivoirienne à obtenir le désarmement des rebelles. Dans ce rapport de force, Paris bénéficiait de l’appui international, et de la force de frappe. La France table peut-être aussi sur l’idée que «nécessité économique fait loi». Mais, dans l’immédiat, pour Paris comme pour Abidjan, la destruction de l’aviation militaire ivoirienne et le départ massif des Français de Côte d’Ivoire, les derniers résultats de cette diplomatie de l’invective faisaient figure de victoire à la Pyrrhus.

By AGM News

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