Vakaba Touré, Journaliste, Éditorialiste

Au commencement...

… »L’ivoirité », ce concept mal aimé qui avait conduit au printemps d’une nouvelle race d’hommes politiques et d’association se réclamant de la société civile du pays, durant la première moitié des périodes chaudes des années 1990, refait progressivement surface, à la grande joie de certains et pour le désintérêt d’autres. Et pourtant ! Ce concept peut-être arraché de son contexte, voir de son sens originel, avait déjà existé par le passé, et faisait corps avec une vision globale du premier Président de la République, à savoir feu Félix Houphouët-Boigny. En effet, l’histoire raconte qu’au retrait progressif des colons vers la fin des années 60, le nouvel État ivoirien qui était encore à l’état d’adolescence, ne disposait pas vraiment de mains-d’œuvre majeure, suffisamment qualifiée pour pourvoir efficacement aux postes et fonctions clés de la nouvelle administration. Des secteurs comme l’ex Énergie Électrique de Côte d’Ivoire [EECI] et celui de l’enseignement général ont été pour beaucoup occupés par des cadres et autres qualifications étrangères. À l’aube des années 80, ce fut le premier déclic avec des étudiants ivoiriens fraichement rentrés de l’étranger, bardés de diplômes et de connaissances dans presque tous les secteurs d’activité essentiellement vitales à cette époque. Le Président Houphouët-Boigny, avec l’aide d’experts, mettra même en place une politique « d’ivoirisation » des cadres. L’objectif étant de réaffirmer la souveraineté administrative et politique de son pays qui venait d’acquérir son indépendance, il y’a seulement vingt ans. Dans la foulée, un ivoirien, répondant à l’appellation de Vanié Bi Tra Albert, est nommé, « Ministre du travail et de l’ivoirisation des cadres ». À l’époque, personne n’avait crié au scandale et l’affaire avait marché comme sur des roulettes. À terme, cette politique a réussi à atteindre ses objectifs et l’ensemble de l’administration était désormais sous le contrôle des cadres ivoiriens, bénéficiaires d’une bonne dose d’expérience pour nombreux d’entre eux.

Y’a-t-eu suivie?

Depuis en effet l’entame des années 90, la Côte d’Ivoire connaît son plus fort taux d’immigration. Le gouvernement a du mal à contenir et à surveiller l’éducation nationale. Le législateur est souvent pris de court dans plusieurs domaines, notamment concernant la situation des élèves et étudiants nés de personnes étrangères, non détentrices du décret de naturalisation. Ces diplômés en puissance se retrouveront aux mêmes tables, à l’occasion des examens et concours de fin d’année, que les ivoiriens, pour pourvoir à des professions relevant de la souveraineté, telle la Police, la Gendarmerie ou l’armée, pour ne citer que celles-ci…Si bien qu’il n’est pas rare de voir dans ces rangs, de nombreux gradés dont les prénoms et noms de famille continuent de penser à l’État civile de certains pays, notamment de la sous-région ouest africaine.

De nombreux intellectuels aujourd’hui estiment en revanche que la vision de Félix Houphouët-Boigny, reprise par l’ancien chef de l’État Henri Konan Bédié, consistait à « remettre les choses à leur place et redonner espoir aux ivoiriens ».

Ce concept, qui a pourtant fait ses preuves au sénégal et au Gabon, ou l’on a respectivement parlé de  » Sénégalité » et de « Gabonais d’abord », a malheureusement fait mauvaise fortune en Côte d’Ivoire, ou l’opposition en avait fait son  » fond de commerce ».

Plusieurs années après la chute du Président Bédié et de son Gouvernement, le pays a connu plusieurs mutations, mêmes des plus sordides.

La chute de l’ex Président Laurent Gbagbo, et l’explosion à « haute voix » du « Rassemblement des Houphouetistes pour la Démocratie et la Paix RHDP », branche politique et militaire qui avait contribué à faire sauter le verrou du régime précédant, la société politique ivoirienne, nostalgique du bon passé de leur pays, semble irréversiblement vouloir faire retour aux vieux démons, au nombre desquels, « l’voirité » qui n’est pas loin d’être la question centrale.

Mais cette fois, le ton est donné par un cadre respecté, membre du Front Populaire Ivoirien [FPI] de Laurent Gbagbo, en l’occurrence l’ancien ministre de la défense, Moïse Lida Kouassi. Nuance! Lui ne parle pas d’ivoirité mais s’étonne de la trop grande présence de fils d’immigrés, agissant au nom des ivoiriens, à l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire.

Il y’a  moins d’une semaine, c’était au tour de la direction de l’Office Nationale d’identification [ONI], d’annoncer que l’âge des pièces d’identité imprimées dans la précipitation en 2009, devait arriver à terme en milieu d’année 2019. Diakaridja Konaté avait indiqué à l’occasion d’une conférence de presse « qu’anciens détenteurs comme nouveaux demandeurs devraient se préparer à effectuer de nombreuses démarches administratives ». En claire, ces formalités débuteront dans les mairies et sous-préfecture, pour s’achever à l’ONI, en passant par un Tribunal conventionnel. En toile de fond de cette étrange gymnastique, extirper, vaille que vaille, les non ivoiriens des vrais. Décidément, une classe politique vraiment imprévisible […] Vive la Côte d’Ivoire, dirait on!

VT

By AGM News

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