Défense | Moscou mobilise 297000 hommes, plus d’un millier d’avions de combat, d’hélicoptères et de drones, pour des exercices inédits avec Pékin

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Les plus grandes manœuvres militaires organisées en Russie depuis quatre décennies débutent ce 11 septembre 2018. L’armée russe déploie des moyens impressionnants en Sibérie orientale et dans l’Extrême-Orient russe. « Vostok-2018 » inquiète les pays occidentaux par les moyens déployés mais aussi en raison d’une coopération sans précédent avec l’armée chinoise. Il y a eu « Zapad-2017 », voici « Vostok-2018 ». Vostok signifie « Est » en russe, et c’est donc vers son flanc oriental que l’armée russe déploie cette fois hommes et matériel pour ces « jeux de guerre » annuels qui inquiètent de plus en plus les pays occidentaux. Des moyens et des effectifs gigantesques, de l’aveu même du ministère russe de la Défense, qui évoque les manœuvres les plus importantes depuis la guerre froide. « Ces manœuvres mobiliseront au total 297 000 hommes, plus d’un millier d’avions, d’hélicoptères et de drones, détaille Valeri Guerassimov, chef d’état-major de l’armée russe. « Nous allons déployer jusqu’à 36 000 blindés, véhicules d’infanteries et de transports de troupes… et jusqu’à 80 navires. En amont, les unités seront transportées sur des distances allant jusqu’à 7 000 km, sur terre, et jusqu’à 4 000 milles sur mer ». Pour l’armée russe ces manœuvres « orientales » auront un triple avantage : permettre le déploiement de troupes sur de grandes distances, faire la démonstration de ses capacités logistiques et de transport de troupes, et mobiliser son arsenal le plus récent : missiles Iskander, tanks T-80 et T-90, avions de combats Su-34 et Su-35, sans oublier les frégates équipées de missiles Kalibr. Mais la grande nouveauté de ces manœuvres, au-delà des moyens déployés, c’est la participation inédite de la Chine. Pékin va envoyer plus de 3 000 hommes, qui « joueront » à la guerre durant plusieurs jours avec les militaires russes. La Chine et la Russie avaient déjà, par le passé, tenu des exercices militaires conjoints, mais jamais de cette ampleur. « La nature de ces exercices a toujours eu auparavant une sorte de goût antichinois, et cette fois-ci on s’entraîne AVEC les Chinois », observe Rouslan Poukhov, directeur du Centre d’analyses stratégiques et technologiques à Moscou. « Les Chinois ont toujours été réticents à soutenir les Russes de façon militaire. Or, ils sont maintenant engagés dans une guerre commerciale avec les Etats-Unis, et ils ont pris cette décision stratégique d’envoyer leurs brigades pour s’entraîner avec les Russes. C’est un grand succès militaire de la diplomatie de Vladimir Poutine. » La Russie se tourne vers l’Est, de façon spectaculaire et avec ce partenaire chinois qui est une puissance économique, et militaire. Depuis 2014 et la crise ukrainienne, c’est l’une des obsessions de la diplomatie russe : isolée par l’Occident, elle cherche des appuis auprès des puissances alternatives, Chine en tête. Le message géopolitique n’échappera à personne et surtout pas aux Etats-Unis et à ses alliés dans la région, à commencer par le Japon et la Corée du Sud. Tokyo n’a pas manqué d’ailleurs de faire part de sa préoccupation, amenant la Russie à préciser que les manœuvres ne concerneraient pas les îles Kouriles, qui font toujours l’objet d’une dispute territoriale entre les deux voisins. Mais si la Russie déporte vers l’Est, cette année, sa démonstration de force militaire, cela ne signifie pas pour autant qu’elle se désintéresse de son flanc occidental. C’est même tout le contraire aux yeux d’Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe de Moscou : « l’essentiel des troupes russes est quand même toujours basé sur la partie occidentale et non pas orientale de la Russie et cela pour des raisons historiques. La Russie a subi de grandes invasions principalement à partir de son flanc occidental, ce qui fait que structurellement les principaux dispositifs militaires restent quand même toujours tournés vers la partie occidentale. » Au-delà de la portée géopolitique de ces manœuvres, reste le message envoyé par la Russie : message de fermeté et de puissance militaire adressé aux pays occidentaux bien sûr, mais aussi à la population russe. « Nous, les Russes avons cette mentalité de forteresse assiégée, on est marqué par les grandes invasions, de Napoléon à Hitler, rappelle Rouslan Poukhov. Donc le message pour les citoyens c’est : on est ici pour vous protéger ». De fait, au cours des dix dernières années, la cote de popularité de l’armée n’a cessé de grimper – selon l’institut de sondage Levada, c’est même l’institution en laquelle les Russes ont le plus confiance. La crise ukrainienne et l’intervention en Syrie, considérées comme autant de succès en Russie, ont donné une image bien différente de celle véhiculée auparavant par l’armée russe, considérée comme une institution délabrée, corrompue, et inefficace. Ces manœuvres militaires, dont les images tourneront en boucle sur les chaînes de télévision russe, ne manqueront pas de doper encore un peu plus la cote d’amour dont bénéficie aujourd’hui l’armée russe dans son propre pays.