L’appel du muezzin retentit, rythmé par la clé de 12 d’un adolescent retapant les scooters des fidèles venus prier. Il y en a des centaines, garés le long de la mosquée où prêche l’imam Mahmoud Dicko, l’une des personnalités les plus influentes du Mali. Pour cette première prière du vendredi du ramadan, à Bamako, l’endroit déborde de monde. Devant l’afflux, les entrées finissent par être condamnées par les croyants. Malgré les 309 cas déclarés positifs au Covid-19, le Mali est l’un des rares pays du Sahel à maintenir les mosquées ouvertes.
« Cette maladie, c’est un effet de mode, lance un homme d’une soixantaine d’années, coiffé de son turban blanc. Des centaines d’autres personnes meurent de maladies chroniques et l’on n’en fait pas autant d’histoires. » Chez les personnes interrogées, le « on meurt tous de quelque chose » revient comme un leitmotiv.
Le 25 mars, les deux premiers patients atteints du Covid-19 étaient dépistés
Avant même que le virus n’atteigne officiellement le pays, le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, annonçait la fermeture de certains lieux publics, des écoles, et l’interdiction des rassemblements de plus de cinquante personnes. Se posait alors la question des lieux de culte, dans un pays où plus de 90 % des croyants sont musulmans. Fermeront, fermeront pas ? « Pas tant qu’aucun cas ne sera déclaré au Mali », avait répondu le Haut Conseil islamique malien (HCIM) au gouvernement, le 19 mars. Six jours plus tard, les deux premiers patients atteints du Covid-19 étaient dépistés.
« On a continué à prier, tout en prenant en considération les mesures barrières dans les lieux de culte, sur décision d’un conseil des oulémas du pays », raconte Mamadou Diamoutani, secrétaire général du HCIM. « Nous verrons comment les choses évoluent, mais les mosquées sont pour le moment épargnées par le virus », continue-t-il, précisant que se laver les mains est obligatoire à l’entrée et que les tapis sont lavés après chaque prière.
Des fidèles se lavent les mains avant d’entrer dans la mosquée de Bamako, le 10 avril. MICHELE CATTANI / AFP
Crainte de la colère des fidèles
Des mesures obligatoires mais pas forcément respectées. Ce vendredi, les fidèles entrent accomplir leur devoir de musulman après la traditionnelle ablution. Pas de savon ni de masque protecteur en vue. Moussa, 30 ans, partage ses doutes quant à l’existence de la maladie dans le pays. Pour lui, le Mali a d’autres priorités. Et puis, de toute façon, « comment ferons-nous pour se faire pardonner par Dieu si les mosquées ferment ? », demande le jeune homme.
« On ne peut pas maintenir les élections d’un côté, et fermer les mosquées de l’autre », Mahmoud Dicko
Pour autant, le prêche de l’imam débute par le rappel du comportement à adopter pour se prémunir contre le virus. « On leur dit de respecter ce que les agents de santé disent, précise Mahmoud Dicko, à la mosquée comme à la maison. » Selon cet ancien président du HCIM, il revient aux autorités religieuses comme étatiques de trancher. « Mais on ne peut pas maintenir les élections d’un côté, et fermer les mosquées de l’autre », estime-t-il. « Les élections législatives [des 29 mars et 19 avril] accompagnaient une décision du dialogue national inclusif », se défend la présidence, invoquant les consultations réalisées en 2019 auprès des Maliens et les recommandations qui en découlaient pour ramener la paix dans le pays.
Pour certains, la décision de surseoir aux prières collectives dans les lieux de culte pourrait déclencher la colère des fidèles, comme au Niger, où des heurts ont éclaté entre jeunes et forces de l’ordre pour protester contre les mesures gouvernementales de prévention du coronavirus. Pour l’Etat malien, en l’absence de consensus avec les autorités cultuelles, il revient à ces dernières de trancher, « comme ce fut le cas au Niger, au Burkina Faso ou au Sénégal ».
Certaines mosquées ont fermé leurs portes
Dans un document du 15 avril intitulé Concilier les pratiques du ramadan et la sécurité des personnes, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) écrit que « l’annulation des rassemblements sociaux et religieux doit être sérieusement envisagée ». Une décision d’autant plus difficile à prendre lorsque l’on sait que les mosquées maliennes « n’ont pas qu’une fonction cultuelle, mais également sociale », ajoute M. Dicko. Selon lui, beaucoup d’indigents vivent grâce à ces lieux en bénéficiant de la solidarité musulmane.
Certaines mosquées ont toutefois fermé leurs portes. Et si les autorités religieuses ne constatent pas une baisse d’affluence dans les lieux de culte, certains Maliens préfèrent prier à l’abri des contacts physiques. Abderrahmane Traoré, la soixantaine, avoue ne plus se rendre à la prière collective. Chapelet à la main, l’homme s’interroge sur l’origine du virus : « Est-ce Dieu qui a envoyé ce virus, ou est-ce le diable ? Auquel cas, on ne sera pas protégé dans la maison de Dieu. »

By AGM News

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