Côte d’Ivoire-UE | Retour sur un rapport terrifiant!

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People walk on a street of Abidjan, Ivory Coast, July 4, 2018. REUTERS/Luc Gnago
Dérive autoritaire du pouvoir, corruption, flagrantes inégalités sociales : dans un rapport confidentiel dont l’AFP a eu connaissance, jeudi 2 août, les représentants diplomatiques de l’Union européenne (UE) s’alarment de la situation politique et sociale de la Côte d’Ivoire à l’approche de l’élection présidentielle de 2020.

Le nord de la Côte d’Ivoire, entre espérances et frustrations

« La Côte d’Ivoire affiche l’image rassurante d’une stabilité retrouvée, portée par des taux de croissance élevés » – 8 % par an en moyenne depuis 2011 – mais « les indicateurs sociaux stagnent (taux de pauvreté à 46 % en 2015) », écrivent les ambassadeurs de l’UE dans ce rapport commun rédigé début juillet et qui n’était pas destiné à être publié, selon une source de l’organisation.

« La population s’interroge de plus en plus ouvertement sur cette croissance qui ne lui semble pas ou peu bénéfique », et « tolère d’autant moins les largesses financières dont bénéficient les cercles du pouvoir »« une classe dirigeante dont l’enrichissement ces dernières années est parfois spectaculaire », selon le rapport.

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Celui-ci pointe « les failles politiques importantes de la reconstruction » après la décennie de crise politico-militaire des années 2000, et « les fragilités non résorbées d’un pays peut-être moins solide et démocratique que sa bonne image pourrait le laisser penser ».

« Réélection systématique »

« Face à ces difficultés, les autorités se montrent hermétiques aux critiques internes et externes, et semblent désireuses de ne laisser aucun lieu de pouvoir leur échapper », selon le texte. « La confrontation entre un pouvoir qui restreint progressivement les espaces d’expression, et une contestation sociale grandissante, n’augurerait rien de bon pour l’échéance de 2020 », s’inquiètent les chefs de mission de l’UE.

Sur le plan politique, la création, voulue par le président Alassane Ouattara, d’un « parti unifié » de la majorité, « annoncé [e] comme la solution à l’instabilité passée […] a été dès le début compris [e] par tous comme une manière pour la coalition au pouvoir de s’assurer une réélection systématique, en reléguant les éventuels mouvements d’opposition à la périphérie du jeu politique ».

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Les ambassadeurs estiment encore que « la relation de l’Union européenne avec la Côte d’Ivoire est affectée par le manque de dialogue politique », une « situation [qui]n’est pas compatible avec la relation forte entre [Bruxelles et Abidjan], dont témoigne notamment le haut niveau de soutien politique et financier apporté par l’Union européenne ».

« Au vu de ce constat, les chefs de mission de l’UE incitent […] à une réflexion sur le soutien de l’UE à la Côte d’Ivoire », conclut le rapport. L’aide européenne au pays ouest-africain se monte à 273 millions d’euros pour la période 2014-2020, à quoi s’ajoutent des aides bilatérales, notamment de la France et de l’Allemagne.

Extrait de l’intégralité du rapport

Sept années après la crise postélectorale qui succédait a près de dix ans de partition du pays, la Côte d’Ivoire affiche l’image rassurante d’une stabilité retrouvée, ponctuée par des taux de croissance élevés (7,8% sur 2017, selon le FMI), un attrait important auprès des partenaires internationaux, et un retour sur la scène internationale (en devenant membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations-Unies en 2018).
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Cependant pour Alassane Ouattara, les difficultés semblent s’accumuler autour d’un second mandat probablement plus difficile qu’envisagé initialement. En effet, si la situation ivoirienne reste globalement stable et suscite toujours l’optimisme des marchés et des bailleurs, plusieurs signaux préoccupants persistent en ces premiers mois de l’année 2018.
« FACE À CES DIFFICULTÉS, LES AUTORITÉS SE MONTRENT HERMÉTIQUES AUX CRITIQUES INTERNES OU EXTRÊMES, ET SEMBLENT DÉSIREUSES DE NE LAISSER AUCUN LIEU DE POUVOIR LEUR ÉCHAPPER »
Au-delà d’une conjoncture difficile, ils révèlent les failles politiques importantes de la reconstruction post-crise, et les fragilités non résorbées d’un pays peut-être moins solide et démocratique que sa bonne image pourrait le laisser penser.
« Soro l’imprévisible »
Sur le plan politique, la majorité parait avoir renforcé toutes ses positions, comme dernièrement avec la préemption de la quasi totalité des sièges du nouveau Sénat. Mais paradoxalement, l’autorité du régime semble se fragiliser y compris dans son propre camp, qu’il s’agisse des accords entre partis politiques (confusion autour du parti unifié et, en arrière-plan, effritement de l’alliance Ouattara-Bédié), de la gestion des ambitions personnelles (avec le rôle toujours aussi important de l’imprévisible président de l’assemblée nationale Guillaume Soro), ou même d’options, autrefois inenvisageabtes mais progressivement devenues crédibles (troisième mandat de Ouattara, voire candidature de Bédié).
Face à ces difficultés, les autorités se montrent hermétiques aux critiques internes ou extrêmes, et semblent désireuses de ne laisser aucun lieu de pouvoir leur échapper, alors même que le cadre électoral soulève de plus en plus de questions.
En dépit d’un nouvel Eurobond (1,7 milliard d’euros) et d’un satisfecit global du FMI, la situation économique et sociale fait aussi naître quelques doutes à moyen terme : la logique réduction de la croissance suite à la chute des cours du cacao — environ un point de baisse en deux ans — réduit les marges de manœuvre budgétaires, alors que les chantiers de développeraient ne manquent pas.
« LA POPULATION S’INTERROGE DE PLUS EN PLUS OUVERTEMENT SUR CETTE CROISSANCE QUI NE LUI SEMBLE PAS OU PEU BÉNÉFIQUE. ELLE TOLÈRE D’AUTANT MOINS LES LARGESSES FINANCIÈRES DONT BÉNÉFICIENT LES CERCLES DU POUVOIR »
Même si elle est toujours considérée comme bien gérée, la dette publique a doublé en cinq ans (de 4,68 milliards en 2012 9 milliards de FCFA en 2016, soit de 34,2% à 46,3% du MB) et sa partie non officielle augmente davantage, tandis que le déficit public a augmenté de 50% en deux ans (a 4,2% du PIB.
Plus largement, la volonté régulièrement affichée de prendre des mesures structurelles pour améliorer le climat des affaires (réaffirmée lors de l’adoption du projet Compact des G20 avec l’Afrique en juin 2017) ne s’est jusqu’alors pas traduite par un processus de réformes suffisamment crédible.
L’incivisme des populations, conséquence de la mauvaise gouvernance des dirigeants
Parallèlement, les indicateurs sociaux stagnent (taux de pauvreté a 46% même si la statistique date de 2015), et la population s’interroge de plus en plus ouvertement sur cette croissance qui ne lui semble pas ou peu bénéfique. Elle tolère d’autant moins les largesses financières dont bénéficient les cercles du pouvoir.
Chaque occasion est saisie pour manifester, parfois violemment, un mécontentement confus bien réel centre les structures et représentants de l’Etat, en tant que symboles de prédation pour une partie de la population. De ce fait, la confrontation entre un pouvoir qui restreint progressivement les espaces d’expression, et une contestation sociale grandissante, n’augurerait rien de bon pour l’échéance de 2020.
Par ailleurs, un an après les mutineries de 2017, la réforme du secteur de la sécurité (RSS) semble toujours en chantier, même si plusieurs initiatives soutenues par certains partenaires de la Côte d’Ivoire ont permis des avancées significatives.
(La suite à lire dans une prochaine édition)