[Article tiré du journal français « Le Point ». Le titre relève de la rédaction]
C’est une histoire de fous, mais encore faudrait-il savoir s’il y a véritablement des fous. Car tous les protagonistes de ce scandale pourraient bien s’en tirer sans la moindre égratignure. À commencer par le roi du diamant Beny Steinmetz, qui obtient en 2008 l’accès au gisement de Simandou, dans le sud de la Guinée, considéré comme l’une des plus grandes réserves mondiales de minerai de fer. Pour l’obtenir, ce Franco-Israélien installé en Suisse a-t-il distribué des pots-de-vin ? En particulier à Mamadie Touré, la quatrième épouse de l’ancien président Lansana Conté ?
Arrivé au pouvoir en 2010, le nouveau président Alpha Condé retire son permis à la société Beny Steinmetz Group Resources (BSRG). En 2013, une commission rogatoire internationale est adressée en Suisse, où Beny Steinmetz réside avec sa famille. « Une partie importante de l’activité du groupe BSRG était conduite à l’époque depuis Genève, où Beny Steinmetz était par ailleurs domicilié. Les sommes versées à titre de pots-de-vin selon l’acte d’accusation s’élèvent à environ 10 millions de dollars, dont une partie a transité par des comptes en Suisse », écrit le Ministère public genevois dans un communiqué datant du lundi 12 août.
Jusqu’à 10 ans de prison
Le procureur Claudio Mascotto, réputé pour sa pugnacité, a retenu les infractions de corruption d’agents publics étrangers et de faux dans les titres contre le milliardaire franco-israélien et deux autres prévenus. Faux dans les titres, car ils sont accusés d’avoir fabriqué des faux contrats et des fausses factures « pour cacher aux banques et aux autorités que BSRG finançait le paiement de pots-de-vin ». Ils risquent jusqu’à 10 ans de prison. Le procès pourrait avoir lieu en 2020. C’est la première fois que le canton de Genève mènera seul un procès pour corruption internationale.
Et ce n’est pas gagné d’avance ! Car la Guinée ne sera pas partie plaignante au procès ! Comme le révèle Le Monde, Conakry a trouvé un accord à l’amiable avec Beny Steinmetz. Ils viennent même d’annoncer la reprise de leur « partenariat ». Selon l’agence économique Bloomberg, « cette réconciliation après sept ans de dispute porte la signature de Nicolas Sarkozy. Redevenu avocat, l’ancien président français a profité de ses relations avec les deux parties pour jouer les intermédiaires ».
« Un activisme judiciaire qui fait du bien »
Quant à Beny Steinmetz, il réside aujourd’hui en Israël, un pays qui n’extrade pas ses ressortissants. Le roi du diamant s’est toujours défendu de la même manière : il ne serait pas le patron de la multinationale qui porte son nom, tout juste un « conseiller non exécutif ». BSRG serait détenue par d’autres sociétés, qui elles-mêmes appartiennent à la fondation Balta au Liechtenstein. Mamadie Touré, la quatrième femme de l’ancien président Lansana Conté, ne se déplacera vraisemblablement pas non plus à Genève. Elle n’a pas nié ses contacts avec BSRG, ni avoir empoché des commissions. Mais installée aujourd’hui en Floride, aux États-Unis, elle collabore avec les enquêteurs américains.
Malgré tout, l’éditorialiste de La Tribune de Genève se félicite que ce dossier tentaculaire, en raison de ramifications internationales, ne se soit pas enlisé. N’est-ce pas un « activisme judiciaire qui fait du bien » de la part d’un canton de 500 000 âmes ? D’autant que le Ministère public de la Confédération, lui, n’a jamais « été capable d’organiser le grand procès emblématique qui aurait assis sa primauté dans ce domaine ».