Les africains continuent de se rappeler de ces propos incendiaires du président français Emmanuel Macron. Invité à s’exprimer sur le développement de l’Afrique lors du sommet du G20 à Hambourg le 8 juillet 2017, le chef de l’Etat avait estimé, entre autres: « Quand des pays ont encore aujourd’hui 7 à 8 enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien ».
Dans son discours, Emmanuel Macron avait également cité d’autres problématiques qui touchent le continent, comme « la route des trafics, multiples, qui nécessitent des réponses en termes de sécurité » ainsi que « le terrorisme islamiste ». Pour plusieurs médias étrangers, ces déclarations sont apparues racistes et démontrent « une vision colonialiste » de la France. Clémentine Rossier, démographe, professeure à l’Institut de démographie et de socioéconomie de l’Université de Genève et chercheure associée à l’Institut National d’Etudes Démographiques à Paris, analyse ces propos.
En tant que démographe, que pensez-vous des propos d’Emmanuel Macron?
Déjà le chiffre de 7 ou 8 enfants est faux. Selon l’ONU, entre 2010 et 2015 la fécondité en Afrique était en moyenne de 4,7 enfants par femme. En moyenne, car les situations sont très diverses. En Afrique australe, la région la plus développée du continent, on compte en moyenne 2,5 enfants par femme, en Afrique du Nord, 3,1. Le Rwanda, le Kenya ou encore l’Ethiopie ont aussi connu des baisses rapides. La fécondité de ce dernier pays est ainsi passée de 5,5 à 4,6 enfants entre 2000 et 2016. Le seul pays dépassant encore 7 enfants par femme est le Niger, une exception.
Et y a-t-il une spécificité des colonies françaises?
Oui, c’est dans les pays colonisés par la France, au passé pro-nataliste, que les taux de natalité sont les plus importants aujourd’hui. En Afrique de l’Est et Australe, colonisé essentiellement par les Anglais, les programmes de planification familiale ont été plus nombreux, plus efficaces et ont doté d’importants moyens. Il est également important de noter les différences entre les populations les plus privilégiées des villes qui ont majoritairement des petites familles de 3 enfants, contrairement aux régions rurales.
Quelles sont les projections pour les prochaines années?
La population africaine est estimée à 1,2 milliard de personnes en 2015, soit 16% de la population mondiale. Il reste le seul continent avec une fécondité si élevée. Et selon les projections moyennes de l’ONU, il y aura 4,4 milliards d’Africains en 2100, soit 39% de la population mondiale, et cela alors même que ces projections intègrent le fait que la fécondité des femmes africaines va diminuer à deux enfants en moyenne d’ici là.
Pourquoi la natalité moyenne baisse partout dans le monde, mais pas en Afrique?
Les raisons sont multiples: absence de politique de planification familiale forte, une dimension culturelle et un système de valeurs qui fait que dans ces pays dont l’organisation sociale est coutumièrement basée sur le lignage, avoir une grande famille est valorisé, mais aussi car ce continent regroupe la majorité des pays pauvres du monde.
Globalement, c’est le développement socio-économique qui favorise la baisse de la natalité. Car l’agriculture de subsistance, que l’on trouvait dans les pays européens il y a deux siècles et que l’on retrouve aujourd’hui en Afrique, nécessite d’avoir des enfants. Ils ne coûtent pas cher, et en l’absence de services éducatifs et sanitaires, leur coût est encore moins élevé. Mais au fur et à mesure que le développement socio-économique décolle, que les structures d’éducation et de santé se mettent alors en place, les familles doivent investir dans les enfants. Or, si l’on veut investir correctement dans chacun d’eux, il faut faire moins d’enfant.
Tous les gouvernements africains, ou presque, sont donc convaincus que maîtriser sa natalité est important. Mais évoquer la natalité en même temps que les trafics et la menace terroriste, comme le fait Emmanuel Macron, n’est pas une bonne piste. Cela laisse penser que la démographie est une dimension fondamentale et centrale du développement économique, ce qui n’est pas le cas.
Quel rôle joue donc la démographie dans le développement de l’Afrique?
La fécondité est l’un des facteurs, mais pas son moteur. Les études actuelles montrent que la baisse de la fécondité peut accélérer la vitesse du développement économique et social, mais ce n’est pas son unique condition. La diminution de la natalité peut jouer uniquement si des investissements dans l’éducation sont réalisés en amont, que le marché de l’emploi est florissant, que la croissance économique est en route.
Dans certaines régions, on a assisté à ce cercle vertueux, entre éducation, emploi et baisse de la natalité. C’est le cas en Asie du Sud-Est où 30% de la croissance économique a pu être directement imputée au fait que les familles aient eu moins d’enfant, ce que l’on a appelé le Dividende démographique. Mais en Amérique latine, au contraire, la baisse de la fécondité n’a pas entraîné le même gain en termes de développement parce que les autres facteurs n’étaient pas au rendez-vous. Le cercle vertueux ne s’est pas mis en place.
Quels sont donc les autres facteurs de ce développement?
L’éducation, la santé, la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption, le développement de l’industrie, de l’énergie, d’une agriculture moderne, de l’emploi… Dans les régions rurales de l’Afrique, on manque encore de routes, d’électricité. Ce sont des chantiers énormes et les bases mêmes d’un développement qui restent à poser. De plus, ce développement devra être durable et lutter contre les conséquences du changement climatique.
La démographie africaine est-elle finalement une chance ou un risque?
Justement, on ne sait pas. La croissance exponentielle de la population va-t-elle mettre en péril les modestes avancées que connaissent certains pays? Impossible à dire. Le Burkina a par exemple vu sa population passer de 6 millions en 1975 à 18 millions en 2015, et elle atteindra 30 millions en 2030. Vu les lenteurs du développement, on a du mal à imaginer comment ce pays va pouvoir trouver une activité à tous ces jeunes, d’autant que son potentiel agricole est peu élevé.