On est en train de détruire le tissu même qui fait de la France un territoire et un pays d’excellence en matière sportive » déplore l’économiste du sport Pierre Rondeau à l’annonce de la baisse drastique du budget du ministère des Sports.
Pierre Rondeau : C’est le moins qu’on puisse dire ! Le gouvernement LREM est en train de détruire le tissu du sport amateur français et ce n’est pas la première fois que ça arrive. Depuis 2017, le ministère n’a cessé de voir ses dotations budgétaires baisser (…) On est en train de détruire le tissu même qui fait de la France un territoire et un pays d’excellence en matière sportive. On est quand même la cinquième nation au tableau des médailles olympiques pour un pays qui ne fait que 65 millions d’habitants. C’est justement grâce au sport amateur et à sa force, financée en grande partie par l’Etat. Aujourd’hui, sous couvert d’une contrainte de rigueur budgétaire, on met en avant l’objectif de rationalisation (…) des comptes. Le sport pour tous, au-delà de la performance et de l’excellence française, est le vecteur de socialisation, de bien-être et de vivre-ensemble.
C’est une politique élitiste selon vous ?
C’est le modèle qui est appliqué depuis la fin des années 1990 en Grande-Bretagne. En 1996, la Grande-Bretagne fait un flop aux jeux olympiques d’Atlanta en terminant 35e au tableau des médailles. Le gouvernement dit : « On arrête les frais, maintenant on fait une politique d’excellence et élitiste. On met de l’argent uniquement là où on pourra avoir des médailles. On arrête le financement du sport pour tous et on ne finance que l’excellence. » Aujourd’hui, l’Angleterre et le Royaume-Uni sont 3e et 4e au classement des médailles, c’est très bien. En revanche, si vous prenez les quartiers populaires et difficiles, plus de 50% des enfants ne savent pas nager ou faire du vélo. Le taux d’obésité dans les quartiers populaires est très élevé et la pratique sportive a totalement périclité. C’est ce qui va arriver en France.
Est-ce que certaines fédérations sportives risquent d’être plus touchées que d’autres ?
Toutes les fédérations sont menacées ! Même le football, qui est la plus grande fédération française de sport en France. Aujourd’hui, un très grand nombre de clubs amateurs tirent la sonnette d’alarme en disant qu’ils n’arrivent pas à finir le mois, qu’on n’arrive pas à budgéter l’ensemble des comptes. Une étude a été réalisée par le site Foot amateur, qui a interrogé plus de 2 000 clubs amateurs en France. Elle montre que 80% des clubs annoncent avoir du mal à pouvoir tenir un budget parce que les subventions et les dotations baissent, les contrats aidés sont supprimés… Comment va-t-on faire pour financer ces fédérations, ces clubs et ces organismes amateurs ? On va augmenter le prix de la licence. Il y aura moins de clubs qui vont se maintenir mais il faudra payer 200, 300 voire 400 euros pour jouer au football.
Faut-il faire comme pour le ministère de la Culture à l’époque de Jack Lang, en sanctuarisant le budget des Sports ?
Totalement. Il faut arrêter de considérer le sport comme étant un loisir anodin et secondaire. Il faut vraiment considérer le sport comme une source essentielle de bien-être, de vivre ensemble et de cohésion sociale. Le sport, ce n’est pas seulement des millionnaires en short, les « footeux de base » champions du monde. On estime qu’il y a entre 15 et 20 millions de personnes qui pratiquent au quotidien le sport, que ce soit le sport licencié ou tout simplement aller faire du jogging. Si on oublie ce sport, on oublie une grande partie de la population.