La plus dure des accusations s’oriente vers Abidjan, révélant sa complicité criminelle dans la mise en place du projet et son déroulé integral (photo d’archives)

Cette enquête réalisée par notre confrère de « Le Reporter », revient sur les zones d’ombre d’un scandale sans précédent, qui a manifestement obstrué l’axe Abidjan-Ouaga. Extrait!

Depuis le départ, certains des cerveaux du coup d’Etat du 16 septembre étaient soupçonnés de trahison et d’intelligence avec des puissances étrangères pour attenter à la sureté de l’Etat burkinabè. Il se susurrait que certains pays voisins avaient prêté main forte aux putschistes pour perpétrer leur forfait. Aujourd’hui, on en sait davantage sur ce point. L’instruction du dossier a permis de lever un coin de voile sur certains dessous insoupçonnés de cette affaire. Visiblement, les putschistes étaient très décidés à aller jusqu’au bout de leur forfaiture. Pour cela, ils n’avaient pas hésité à s’allier des forces extérieures. Les éléments du dossier établissent clairement que les deux principaux cerveaux présumés du coup d’Etat, les Généraux Gilbert Diendéré et , étaient en contact non seulement avec certains éléments djihadistes maliens, mais aussi avec des hauts gradés dans les armées ivoirienne et togolaise. Si avec les djihadistes maliens il était question d’appui en moyens humains, à travers l’envoi de combattants en renfort aux putschistes du RSP, du côté de la Côte d’Ivoire et du Togo, ils ont reçu d’importants appuis financiers et du matériel de répression pour faire consommer coûte que coûte le coup d’Etat

Les aveux de Gilbert Diendéré, putschiste en chef

Après son arrestation, le putschiste en chef, Gilbert Diendéré, est vite passé aux aveux.

« J’AI FAIT VENIR CE MATÉRIEL DE LA CÔTE D’IVOIRE PAR UN HÉLICOPTÈRE QUI EST ALLÉ DE OUAGADOUGOU POUR RÉCUPÉRER À LA FRONTIÈRE ET DU TOGO, EN VÉHICULE À LA FRONTIÈRE. (…) IL NE S’AGIT PAS D’UNE COMMANDE PUBLIQUE MAIS DE L’AIDE QUE J’AI DEMANDÉE À CES DEUX PAYS. EN CÔTE D’IVOIRE, JE ME SUIS ADRESSÉ AU CHEF D’ETAT-MAJOR PARTICULIER, MONSIEUR LE GÉNÉRAL DIOMANDÉ VAGONDO, AU TOGO, JE ME SUIS ADRESSÉ AU CHEF D’ETAT-MAJOR DE LA GENDARMERIE, LE COLONEL MASSINA »

L’implication de la Côte d’Ivoire et de 

Concernant l’implication de la Côte d’Ivoire, beaucoup d’informations circulaient déjà, surtout avec les écoutes téléphoniques des conversations entre Guillaume Soro, l’ancien chef rebelle et actuel président de l’Assemblée nationale de ce pays, et les deux Généraux putschistes. Ecoutes dont l’authenticité ne fait plus à présent l’objet d’aucune contestation. Les conclusions de l’expert allemand Hermann Kunzel, commis par la Justice burkinabè, n’ayant laissé la moindre place au doute quant à cette authenticité.

« MAIS POUR FRAPPER CETTE FOIS-LÀ! IL NE FAUT PAS QU’ON FRAPPE DE FAÇON ISOLÉE ! IL FAUT QU’ON OUVRE AU MOINS TROIS FRONTS »

Dans lesdites écoutes, outre le soutien moral et les stratégies d’attaques et de diversion des Forces loyalistes en vue de la consommation totale du coup d’Etat, l’ancien chef rebelle ivoirien promettait aussi d’envoyer sa part de contribution financière à Djibrill Bassolé. Ce dernier avait même désigné des « contacts sûrs » par le biais desquels l’argent devrait lui parvenir. Dans ces échanges, il ressort clairement une planification d’actes d’atteinte au Burkina Faso, a ses institutions et son armée, en proie aux putschistes du RSP. Il ressort des propos tels que : « … les enfants refusent de désarmer catégoriquement! », « Et puis bien au contraire si on voit qu’il y a une opportunité vraiment, on frappe! », « Oui oui oui!!! Oui tout à fait », « Mais pour frapper cette fois-là! Il ne faut pas qu’on frappe de façon isolée ! Il faut qu’on ouvre au moins trois fronts »

« ON FRAPPE DANS UNE VILLE EN HAUT QUELQUE PART LÀ-BAS! ON RÉCUPÈRE UN COMMISSARIAT ! UNE GENDARMERIE. EUX, ILS VONT FUIR. ILS NE PEUVENT PAS, ILS NE PEUVENT PAS RÉSISTER ! »

« Oui oui!! C’est ça! Voilà et puis surtout, il ne faut pas frapper… il faut frapper de manière à ce que même si on recule, les dégâts qu’on a causés-là sont tels que les choses ne peuvent plus revenir à la situation antérieure », « Tout à fait!!!! », « C’est-à-dire que cette Transition est obligée de s’en aller », « Moi, voilà ce que je voulais te proposer! », « On frappe dans une ville en haut quelque part là-bas! On récupère un commissariat ! Une gendarmerie. Eux, ils vont fuir. Ils ne peuvent pas, ils ne peuvent pas résister ! », « Et comme on me dit que l’Armée est autour de Ouagadougou! », « Si on frappe à un bout là-bas, l’Armée va vouloir se réorganiser pour aller vers là-bas? »… qu’il s’agissait ni plus ni moins de l’intelligence ou de la collusion avec une puissance étrangère en vue de déstabiliser les institutions du Faso.

Vagondo en mission commandée ?

L’autre aspect du soutien ivoirien concerne le Général Diomandé Vagondo, dont parle le Général Diendéré. Le Général Diomandé n’est pas n’importe qui en Côte d’Ivoire. Il est le chef d’Etat-Major particulier du président ivoirien, Alassane Dramane Ouattara. Il ressort clairement de l’instruction que ce dernier a non seulement acheminé du matériel, mais aussi une importante somme d’argent que Diendéré a fait récupérer à la frontière entre la Côte d’Ivoire et le Burkina par mission héliportée. Le matériel devrait aider les putschistes à contenir les velléités contestataires des populations qui se dressaient contre le putsch. Dans sa déposition, le Colonel-Major Boureima  Kiéré, le successeur de Gilbert Diendéré à l’Etat-Major particulier de la Présidence du Faso, resté très proche de ce dernier durant toute la période du putsch, explique que c’est sur instruction du Général Gilbert Diendéré qu’il a désigné le Capitaine Ouédraogo Saïdou Gaston, alors régisseur d’avance à l’Etat-Major particulier de la Présidence du Faso, pour conduire la mission héliportée à la frontière ivoiro- burkinabè pour la récupération de la fameuse aide ivoirienne. Cela s’est passé, explique Boureima Kiéré, le vendredi 18 septembre 2015. La mission devait se dérouler le samedi 19 septembre 2015. Il ajoute que Gilbert Diendéré lui avait dit de prendre attache avec le chef d’Etat-Major adjoint de l’armée de l’Air, le Colonel Gouba, pour les précisions sur la mission. Le Général aurait poursuivi en disant qu’il serait contacté par un Ivoirien qui devait lui donner un contact pour la coordination sur le terrain. Il précise qu’il a informé le CEMGN (chef d’Etat-Major de la Gendarmerie nationale) et le DGPN (Directeur général de la Police nationale) quant à la tenue de cette mission. De retour de la mission, le Capitaine Ouédraogo Saïdou Gaston lui aurait rendu compte qu’en plus du matériel, il a reçu une valise pour le Général Gilbert Diendéré. Quant au contenu exact de la valise en question, les versions divergent. On parle d’un total de 160 millions FCFA. Gilbert Diendéré ne donne pas de précision. Pour sûr, une partie du contenu, soit 50 millions FCFA, était destinée aux gens du CDP et autres comparses du Front républicain qui soutenaient le putsch. Boureima Kiéré indique que cette somme leur a été transmise par l’intermédiaire de René Emile Kaboré et Léonce Koné. Gilbert Diendéré précise même que c’est René Emile Kaboré qui est allé récupérer le colis, en face du Trésor à Ouaga 2000. Un lieu de rendez-vous que lui-même (Diendéré) avait fixé. Diendéré explique aussi qu’il a reçu l’information concernant l’argent à remettre aux responsables du Front républicain par le même Général ivoirien Vagondo. Mais le chef d’Etat-Major particulier d’Alassane Ouattara peut-il prendre sur lui-même d’apporter un tel soutien à des putschistes d’un pays voisin sans se référer à son patron. Rien ne filtre pour le moment à ce niveau. Mais pour beaucoup d’observateurs avisés, connaissant bien le milieu à la Présidence ivoirienne, la réponse à une telle question est sans ambages. Pour ceux-ci, Alassane Ouattara ne peut être étranger à cette situation. Tout porte à croire qu’il en est même le premier responsable dont le chef d’Etat-Major n’a fait qu’exécuter les instructions. Aussi, le montant de l’argent envoyé finit de convaincre plus d’un que le Général Vagondo n’est qu’un exécutant. Il ne serait pas capable de casquer une telle somme à lui tout seul. Vrai ou faux ? Sans doute qu’un jour, on saura la vérité.

Quid du Togo ?

L’implication du Togo est sans aucun conteste celle sur laquelle on ignorait beaucoup jusque-là. De ce côté-là, le soutien aurait consisté uniquement du matériel de répression, apporté par le chef d’Etat-Major de la Gendarmerie nationale du Togo, le Colonel Alex Yotrofei Massina. Pendant que les putschistes étaient de plus en plus acculés par les populations qui continuaient de descendre en masse dans les rues de Ouagadougou et des villes de provinces pour s’opposer à la forfaiture, n’ayant pas assez de moyens de répression pour contenir la déferlante, le chef putschiste a eu recours à son ami togolais qui n’a pas hésité à lui voler au secours. Le patron de la Gendarmerie nationale togolaise a donc dépêché ses hommes à la frontière du Burkina avec une importante quantité de moyens de répression. Cette fois-ci, c’est une mission terrestre qui a été envoyée pour récupérer ce matériel. Le chef des pandores togolais a-t-il agi de son propre chef ? Ou a-t-il eu la caution du président  togolais pour agir ? Là aussi, rien ne filtre officiellement. Mais d’aucuns pensent que le Colonel Massina n’est pas assez « fou » pour prendre sur lui une telle responsabilité tout seul. La mission de récupération a été conduite par le Lieutenant  Bouraima Zagré. Un jeune élément du RSP qui était dans la période en mission onusienne au Mali et qui était rentré au Burkina quelques jours avant les évènements en congé. Dans sa déposition, ce dernier explique que c’est le 17 septembre 2015, dans l’après-midi, que le chef de corps adjoint, le Commandant Korogo, lui a signé un ordre de mission l’instruisant de se rendre à Dapaong en territoire togolais, pour récupérer du matériel de maintien d’ordre. Mais c’est finalement à Cinkansé, côté togolais, que le matériel a été récupéré. Il précise que l’ordre de mission a été visé par la Brigade territoriale de gendarmerie côté burkinabè. Lui et ses hommes, au nombre de 9, sont revenus à Ouagadougou le 18 septembre 2015  dans la soirée, avec le matériel objet de la mission. Ce matériel aurait été dispatché entre la gendarmerie et la Police nationale. Bouraima Zagré indique qu’au niveau de la gendarmerie, c’est l’Adjudant Dakyo de l’Escadron de sécurité d’intervention (ESI) qui est venu récupérer la part de celle-ci. Au niveau de la police, c’étaient les éléments de l’Unité d’intervention polyvalente (UIP) à bord d’un minibus. Chacun d’eux a signé une décharge en deux exemplaires avant de prendre le matériel. Un exemplaire est resté au secrétariat et ils sont partis avec le second. Il précise avoir fait la photocopie des décharges pour les garder par devers lui.

Fusils lance-grenades, grenades lacrymogènes, cartouches anti-émeute…

Il donne d’amples détails sur le déroulement de la mission en terre togolaise : « J’ai démarré le 17 septembre 2015 avec deux véhicules. Une TOYOTA LAND CRUISER mono cabine et un véhicule militaire type ACMAT. Nous étions dix militaires en tenue de combat du RSP. Nous sommes arrivés à Cinkansé aux environs de 2 heures du matin. Un numéro togolais qui m’avait précédemment absenté m’a rappelé. Mon interlocuteur a demandé ma position. Je lui ai dit que j’étais au niveau de la Brigade territoriale de gendarmerie de Cinkansé. Il a déclaré que dès que je franchis la frontière, de lui faire signe. Aux environs de 06 heures et quart, le conducteur de la mono cabine et moi, après avoir vêtu des tenues civiles, avons franchi la frontière à bord de son véhicule. Le contact togolais nous attendait. Nous l’avons suivi sur à peu près quatre kilomètres. Il nous a conduits dans une villa qui faisait apparemment office d’une brigade de gendarmerie. C’est en ce lieu que le matériel a été chargé dans notre véhicule par des personnes en tenues civiles, probablement des gendarmes. De retour à la Brigade de gendarmerie de Cinkansé, nous avons revêtu la tenue treillis et avons repris la route pour Ouagadougou ». Relate-t-il sans sourciller.  A la question de savoir qui était le contact togolais, il dit ne pas le connaître. Mais c’était un Capitaine de la Gendarmerie togolaise du nom de Piasso. Ajoute-t-il. « Je l’ai ainsi identifié parce qu’il était en tenue militaire et avait une bande patronymique au niveau de sa poitrine ». Comment le contact togolais a-t-il pu vous contacter? A cette question des enquêteurs, il répond : « Je n’avais pas son numéro. Je pense que c’est depuis la base que ça a été coordonné. Je me dis que c’est la base qui a dû donner mon numéro pour qu’il puisse me joindre. Il m’a remis également son numéro sur un papillon… ». Le missionnaire donne aussi quelques détails sur le matériel récupéré : « Le matériel était composé de cinq fusils lance-grenades de type COUGARD avec leurs munitions, des grenades lacrymogènes à fusil et à main type ATL, des cartouches anti-émeutes un grain et douze grains et des cartouches propulsives. Je n’ai pas les quantités en tête mais tout était répertorié sur une feuille que j’ai laissée au corps. J’ai ouvert les paquets de cartouches qui étaient dans des boîtes cartonnées. Les autres qui étaient dans les caissons scellés ont été ouverts au corps dès mon arrivée ».

Armés de machettes à Koupéla

Lors  de votre mission de Cinkansé, avez-vous eu à faire usage de vos armes? Réponse : « A l’aller, peu avant Koupéla, le passage était obstrué, j’ai demandé aux hommes de dégager la voie. Ils ont rencontré la résistance de manifestants armés de machettes. Ils ont effectué des tirs de sommation en l’air. Au retour, peu après Koupéla, il y avait un pont qui était obstrué et certains ont eu à utiliser leurs cordelettes contre des gens qui refusaient de libérer le passage. Je leur ai aussitôt intimé l’ordre de cesser… ».  Concernant les frais de mission, le Lieutenant Zagré indique qu’il a fait un bon de cent- trente mille francs chez le trésorier du corps. Cet argent était destiné à l’alimentation des hommes et aux frais de route. Il dit avoir reçu en outre, une enveloppe de cent mille francs de la part du Commandant Korogo. Selon lui, c’était un simple geste d’un ancien à son jeune frère.

Autre pays dont le nom revient dans le chapitre des soutiens aux putschistes, le Mali. Mais ici, il n’y a pas d’autorité de ce pays qui soit suspectée de quoi que ce soit. C’est dans les rangs des djihadistes maliens qu’il faut rechercher les complicités. Dans les révélations des écoutes de Djibrill Bassolé et aussi de Gilbert Diendéré, il ressort que les deux ont eu des contacts avec des éléments dans ces milieux au sujet d’un éventuel renfort. Il s’agissait essentiellement de renforts en hommes, notamment des combattants djihadistes qui devraient venir prêter main forte aux putschistes. Djibrill Bassolé, par exemple,  a eu une conversation avec un numéro malien (00223…) qui l’a appelé et lui disait en substance qu’il avait pu contacter les gens et qu’ils sont prêts. Le correspondant lui a même parlé en bambara et lui a demandé s’il avait bien compris. Quant à Diendéré, c’est avec son co-inculpé, Sidi Lamine Oumar, se présentant comme étant issu des milieux djihadistes maliens et résidant au Burkina Faso depuis 2013. Pendant les évènements, il était rentré en contact téléphonique avec Diendéré à qui il proposait de mettre à sa disposition des combattants qui seraient déjà positionnés dans un camp de refugiés maliens dans le Nord du Burkina.

Le procès en cours devrait permettre d’en savoir davantage sur toutes ces implications extérieures dans le coup d’Etat dit le plus bête du monde. Affaire à suivre donc !

Par Y. Ladji Bama (Le Reporter)

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AGM News

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